On ne s'invente pas artisan !
Mettre ces artisans à l'honneur, c'est un des rôles de cette manifestation d’ampleur nationale qu’est la Semaine de l’artisanat. Organisée par le réseau des chambres de métiers du 2 au 9 juin dernier, la CMA Grand Est a tenu à révéler quelques-unes de ses perles rares.
Des professionnels aux missions singulières, indispensables à leurs clients et usagers et à notre économie locale. En résonance avec le thème de cette édition 2023, « On ne s’invente pas artisan », neuf portraits d’artisans racontent ce que certains appelleront un héritage, d’autres une solution, mais que tous peuvent reconnaître comme un savoir-faire unique.
Vosges : PITET AIR SERVICE entretient, construit et restaure des avions
« Constructeur d’aéronef » : le terme au Répertoire des métiers a de quoi intriguer.
Il évoque plus l’industrie : Airbus, Dassault... Il existe pourtant une activité artisanale
de construction d’avions, pratiquée par des passionnés. C’est le cas de Philippe Pitet, dans les Vosges.
Opérant dans un garage XXL situé près de la base aérienne de Dogneville, à 5 km d’Épinal, l’artisan assure le montage de kits, l’entretien et la restauration de petits bijoux de l’aéronautique : avions de tourisme, ULM, avions de collection ou des modèles plus récents arrivent chez lui... avec du plomb dans l’aile.
Il les remet en état, en réparant fuselage, ailes, cabine de pilotage, moteur, tableau de bord, sièges, etc. Un travail incroyable qui demande une infinité de compétences que Philippe Pitet a acquises en autodidacte dès ses 16 ans, et validées en passant les agréments dans une école spécialisée, l’autorisant à signer les papiers qui permettent le vol.
Un savoir-faire qui repose à la fois sur la rigueur d’un processus qualité de type industriel et sur un doigté expert. Garé sous le hangar dans l’attente de son prochain vol, le Tiger Moth de Philippe Pitet illustre les prouesses de l’artisan
et de ses complices.
En fait, il n’est pas rare que des inconditionnels de l’aviation fabriquent eux-mêmes leurs appareils à la main. Mais très peu en ont fait une activité professionnelle.
Aube : La TUILERIE POTERIE ROYER, une référence auboise !
Transmise de génération en génération, la tuilerie poterie Royer perpétue, depuis plus d’un siècle et demi, un savoir-faire traditionnel séculaire et unique. Briques, tuiles, faîtières, carreaux médiévaux... tous leurs produits en terre cuite sont fabriqués à partir de l’argile extraite de leur propre carrière située à proximité de leur atelier à Soulaines-Dhuys.
La qualité de leur travail est reconnue dans la région auboise et au-delà, attirant des clients exigeants tels que des artisans, des couvreurs, des architectes et des particuliers soucieux de la qualité et de l’authenticité des matériaux de construction.
Une entreprise du patrimoine vivant
Transmettre le savoir-faire de l’entreprise aux générations futures et sensibiliser le grand public à la valeur de l’artisanat traditionnel : la tuilerie poterie Royer propose des stages immersifs pour enfants et adultes.
Objectifs : découvrir le travail de l’argile, comprendre les différentes étapes de fabrication des produits en terre cuite, et créer leurs propres pièces. Entreprise du patrimoine vivant (EPV) depuis 2008, la tuilerie poterie Royer est une entreprise unique en son genre qui a su préserver des techniques de fabrication ancestrales tout en s’adaptant aux exigences des clients d’aujourd’hui.
Ardennes : des pigments naturels aux mille et une couleurs
À Écordal (08), Emmanuel Poix est le dernier fabricant de pigments naturels et de terres colorantes en France :
« Nous avons une terre de Sienne dans les Ardennes qui provient d’une carrière dont nous sommes propriétaires. »
Chauffée à 200 degrés, elle conserve cette couleur jaune. À 700 degrés, elle devient rouge.
« Pour les autres, nous utilisons des terres provenant de carrières de Bourgogne (ocres), d’Allemagne (noirs) ou même des Indes de Madras pour le rouge. En tout, nous fabriquons 45 teintes naturelles. »
Le Moulin à Couleurs est labellisé « Entreprise du patrimoine vivant » (EPV) grâce à son savoir-faire séculaire transmis de génération en génération depuis 1866.
Résistants aux ultraviolets, ces pigments serviront ensuite à colorer des peintures, des ciments, des enduits, des crépis, dans le domaine artistique ou industriel.
« On travaille également en restauration du patrimoine, c’est le domaine noble de notre activité. »
En 2020, Le Moulin à Couleurs a même reçu les honneurs de l’Élysée en participant à la grande exposition du « fabriqué en France ». La reconnaissance d’un savoir-faire artisanal local.
Alsace : STOMAPOTE, une ceinture artisanale pour les personnes stomisées
« Ce plaisir de voir les personnes retrouver leur liberté et leur vie d’avant... ça me prend aux tripes ! »
Cathy a toujours eu un petit côté « MacGyver ». Lorsque sa compagne Nathalie subit une stomie en 2018 (une déviation chirurgicale qui permet le recueillement des selles ou des urines dans une poche), elle réfléchit à trouver une solution pour lui redonner sa mobilité.
Après plusieurs prototypes, les deux femmes trouvent un modèle idéal. Baptisée « Stomapote », cette ceinture allie sécurité et confort :
« Notre force est de proposer des ceintures 100 % sur mesure pour s’adapter à toutes les morphologies, à tous les besoins et aussi aux enfants, souligne Cathy. Nous utilisons un tissu néoprène pour la partie qui touche la peau et le reste est complètement personnalisable ! »
Et le succès est au rendez-vous ! Aujourd’hui, à Lampertheim, Cathy et Nathalie jonglent entre leur travail au SAMU et leur activité artisanale avec enthousiasme :
« C’est aussi un hommage à maman, qui a été stomisée, elle aussi,, que je n’ai pas pu aider à l’époque, raconte Cathy. Nous pouvons maintenant accompagner d’autres personnes dans cette épreuve en proposant une ceinture accessible à tous. »
Haute-Marne : Vincent Fouligny, l'artisan qui prend de la hauteur !
Au sein de son entreprise VF accès difficiles, basée à Neuilly- sur-Suize (52), Vincent Fouligny fait des reprises de maçonnerie sur les balcons, réfectionne les toitures, entretient les cheminées... avec, comme seule sécurité, une corde.
Depuis deux ans, ce maçon-couvreur s’est spécialisé en tant que cordiste pour « se démarquer des autres entreprises du coin ».
« Notre pratique est très encadrée : il faut toujours pouvoir justifier l’utilisation de la corde, qui est, forcément, plus à risque. Même si nous travaillons en toute sécurité. »
50% des interventions à la corde
Pour un passionné d’escalade, la spécialisation cordiste était naturelle. Accéder
à des endroits où personne ne peut aller : voilà ce qui plaît à Vincent dans l’exercice de son métier.
« En plus, la corde nous donne une liberté de mouvement qui est appréciable. On peut, par exemple, travailler la tête à l’envers, ce qui est parfois pratique », s’amuse-t-il.
Aujourd’hui, 50 % de l’activité de Vincent est en rapport avec des interventions à la corde. L’artisan emploie un collaborateur et espère pouvoir développer son entreprise dans les années à venir.
Meuse : "en tant que prothésiste dentaire, je me sens pleinement artisan !"
La voie de Frédéric Etienne était comme toute tracée :
« Mon frère est prothésiste dentaire et comme nous avons 12 ans d’écart, j’allais souvent le voir dans son laboratoire. »
Après avoir fait partie de la première promotion du brevet professionnel prothésiste dentaire en Lorraine en 1990, Frédéric Etienne a commencé sa carrière à Saint-Dizier, est parti en outre-mer puis s’est associé avec son frère, à Bar-le-Duc, en 2001.
Susciter des vocations
Une technique solide et une grande minutie : la profession de prothésiste dentaire ne cesse d’évoluer grâce aux nouvelles technologies :
« J’ai investi récemment dans du matériel numérique car c’est l’avenir de notre savoir-faire. C’est gratifiant d’exercer un métier dans lequel on ne s’ennuie jamais : en 36 ans, j’ai connu une pléiade de procédés de fabrication différents ! »
Depuis 2020, grâce au « reste à charge zéro » mis en place par le Gouvernement, l’activité du prothésiste dentaire a augmenté de 20 à 30 % :
« C’est une bonne chose, mais il faut maintenant penser aux recrutements et susciter des vocations chez les jeunes. »
Et lorsqu’on lui demande s’il se sent artisan, Frédéric Etienne répond sans détours :
« Je me sens pleinement artisan, car chaque pièce que l’on fabrique est unique. Nous avons l’amour du travail bien fait. »
Moselle : Gilles Gérard, Serrurier-métallier-chaudronnier au zoo d'Amnéville
Quelles sont vos missions au zoo ?
Je répare et conçois des enclos, des loquets de fermeture, des pièces spécifiques pour mes collègues soigneurs. J’adapte l’existant en fonction des besoins et des particularités des animaux. Je peux aussi bien fabriquer une volière que des renforts pour la cage d’un éléphant. Je veille à la sécurité des visiteurs en m’assurant que les systèmes de fermeture sont opérationnels.
Que préférez-vous dans votre métier au zoo ?
La diversité ! Les demandes des collègues sont variées. Je dois réfléchir, inventer, trouver des solutions. Je suis toujours dans la créativité. Et que dire du cadre
de travail ? Ce décor avec ces animaux !
Peut-on parler de métier-passion ?
Initialement, je voulais m’orienter vers la menuiserie, mais non, je m’étais alors tourné vers la serrurerie, que j’ai découverte et… adorée ! J’ai eu la chance d’être formé par des anciens qui m’ont transmis leurs connaissances et savoir-faire.
Quels conseils donneriez-vous à un futur artisan serrurier-métallier ?
Bien regarder et analyser. Apprendre. Étudier avec sérieux le travail du maître d’apprentissage. Plus on en sait, mieux c’est ! Être manuel bien sûr et, surtout, avoir l’envie de travailler.
Meurthe-et-Moselle : les documents graphiques n'ont pas de secret pour les artisans-conservateurs-restaurateurs
Astrid Martin est artisane conservatrice-restauratrice de documents graphiques. Des livres, documents, parchemins, pièces de plus de quatre siècles parfois, détériorés par le temps ou d’autres aléas, passent entre ses mains.
« Je dois rendre la page, le document, de nouveau manipulables », explique cette magicienne capable de combler des « lacunes » avec des papiers artisanaux, lorsque le support original s’est partiellement détruit. « Je commande directement la matière dans des moulins à papier artisanaux », précise-t-elle.
C’est de la dentelle et du cas par cas... Elle restaure aussi les éléments graphiques, mais sans jamais inventer ou interpréter.
« Chaque fois qu’on reçoit un document à restaurer, on établit un diagnostic et une proposition de traitement. La restauration est parfois très poussée, jusqu’à la retouche illusionniste. »
Ses clients sont les musées, bibliothèques, galeristes, antiquaires... mais aussi des particuliers accordant une valeur sentimentale à un ouvrage abîmé. Elle a appris son métier et acquis l’immense connaissance culturelle nécessaire pour intervenir dans un tel environnement, au cours d’une formation de master 2 en conservation- restauration d’œuvre d’art spécialisé en papier et livre.
Marne : la belle échapée d'HEXAGONE BIKES Un vélo en bois : c’est l’idée qu’ont mis au point Grégoire et Quentin, amis, associés et passionnés de petite reine. Installés au Val-des-Marais (51), le premier s’occupe de la fabrication tandis que le second prend en charge l’assemblage des vélos et le développement de la marque.
« Dans une démarche RSE, nous voulions travailler avec une matière première locale, détaille Quentin. Nous achetons notre frêne à 80 km d’ici, à côté de Troyes. Le bois nous permet d’avoir une faible empreinte carbone, il absorbe les vibrations de la route pour plus de confort... Chaque vélo est unique grâce à un matériau design et chargé d’histoire. »
Utiliser les chutes de boic pour les accessoires
Comptez entre 2.200 et 2.800 euros pour un biclou signé Hexagone, homologué VTC :
« C’est un vélo haut de gamme, certes, mais il est durable, original et équipé de composants de très belle qualité », souligne Grégoire.
Deux modèles sont aujourd’hui proposés : un « confort » et un « sportif » avec plusieurs options (courroie, vitesses, guidons...). Et les deux amis et associés n’hésitent pas à appuyer sur la pédale : ils ont les idées qui fusent et aimeraient étoffer leur gamme en proposant d’autres modèles.
« Nous réfléchissons également à utiliser nos chutes de bois pour fabriquer des accessoires comme un support de vélo qui est très demandé par les clients ou à créer une selle en liège. »
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