Un chantier pour la postérité
Après le drame, l’action. Au lendemain de l’incendie de Notre-Dame, qui a cristallisé un émoi planétaire, il était temps de mobiliser les troupes. Le 18 avril dernier, les ministres du Travail, de la Culture et de l’Éducation nationale ont lancé le programme « Chantiers de France », avec deux visées : fédérer les forces expertes en vue de la restauration de Notre-Dame et d’autres édifices en péril, et revaloriser les filières d’apprentissage liées à la construction. En d’autres termes : sauvegarder le patrimoine en investissant dans la formation des artisans de demain.
Cathédrale et « chantier-école »
Pour parvenir à la réussite du projet, les acteurs incontournables du patrimoine bâti, qui forment les professionnels indispensables à la reconstruction, ont été réunis en un comité stratégique : parmi eux, les Compagnons du Devoir, le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), la Capeb, le GMH, ou encore Maisons familiales rurales (NDLR : comité dont émanera dans un second temps un comité de pilotage, plus technique).
Le 15 mai dernier, Michel Guisembert a été nommé à la tête de ce consortium. Fin connaisseur de l’artisanat, le président de WorldSkills France et ancien directeur des Compagnons du Devoir entend garder le cap :
« L’objet est bien de profiter de la reconstruction pour mettre à disposition du grand public – car les chantiers seront ouverts au public – la possibilité de voir des jeunes en situation de formation, dans l’excellence ».
« Comme pour les Olympiades des métiers, ce chantier-école sera une magnifique vitrine pour la formation et l’orientation professionnelle. » Même conviction du côté du président de CMA France, Bernard Stalter, pour qui la restauration de la cathédrale représente « une opportunité inédite d’améliorer durablement l’image de métiers, encore trop souvent vus par les familles, les jeunes et les conseillers d’orientation comme manuels et peu valorisés socialement ».
« Faisons de Notre-Dame de Paris le premier CFA européen unique en son genre », clame Bernard Stalter, président de CMA France.
Plus que la préservation des savoir-faire, la priorité absolue est de pallier le risque de pénurie de candidats. Ce qui nécessite de changer de paradigme à l’échelle de la société… Là intervient l’exemplarité de Notre-Dame : pour éveiller des vocations, il sera essentiel de valoriser ceux qui contribueront à sa reconstruction, au même titre que les bâtisseurs de cathédrales qui les ont précédés.
Du renfort sur le terrain
Couvreur, charpentier, vitrailliste, ornemaniste, facteur d’orgues… La liste des cursus désertés faute de moyens ou de visibilité est longue : environ une quarantaine de spécialités du gros et second œuvre. Nommé coordonnateur national du réseau des CMA dans le cadre de Chantiers de France, Régis Penneçot a recensé les organismes concernés. « Ma mission consistera en des visites régulières ; nous avons déjà ciblé un certain nombre de centres de formation, notamment en Occitanie et dans le Grand Est », confie-t-il. « Les effectifs de certains organismes ne sont pas très importants, mais ils forment à des savoir-faire d’exception qu’il faut urgemment promouvoir », souligne l’artisan menuisier, par ailleurs président de la CMA de Côte-d’Or. « La couverture, la menuiserie, sont des filières en souffrance… Alors que 80 % des apprentis obtenant leur CAP trouvent un emploi en moins de trois mois ! »
« L’artisanat est vivant, mouvant, il n’est pas figé dans un musée », souligne Régis Penneçot, coordonnateur national du réseau des CMA dans le cadre de Chantiers de France.
Priorité sera donnée au qualitatif :
« Il ne s’agit pas de promettre un emploi, mais de former aux compétences au long cours : nous devons pérenniser l’action en faveur des filières en tension », insiste Michel Guisembert.
D’ici 2020, les CFA et lycées professionnels pourraient envoyer leurs apprentis et formateurs sur des chantiers d’exception et/ou dédier une partie de leurs locaux à la restauration des monuments. Cette ambition a un coût : une partie des fonds recueillis au titre de la souscription nationale permettra de financer l’effort de formation.
Les propositions de CMA France
Le 18 avril, le président de CMA France, Bernard Stalter, a présenté au Gouvernement une série de propositions dans le cadre de Chantiers de France :
- permettre l’accès aux marchés de la restauration du patrimoine pour les artisans (qui ne peuvent à ce jour pas y accéder pour des raisons réglementaires) ;
- sensibiliser et orienter vers les métiers des bâtisseurs ;
- recruter et former la prochaine génération de bâtisseurs ;
- créer un « Erasmus des bâtisseurs ».
Élargir les horizons
Rénover les monuments, mais aussi l’image des métiers… « Sur les Chantiers de France, la maxime "être par la tradition et devenir par l’innovation" prend tout son sens », relève Régis Penneçot. « À la construction de la cathédrale, les ouvriers et maîtres d’œuvre ont développé des trésors d’ingéniosité et de compétences très modernes, ce qu’on a aujourd’hui du mal à se figurer : il faut aider les jeunes à en prendre conscience, qu’ils voient que l’artisanat est hautement compatible avec les technologies qu’ils connaissent », développe-t-il.
Autre carte à jouer : la mobilité internationale, facteur d’échanges culturels et d’autonomie. CMA France propose notamment d’élargir les perspectives des apprentis en développant un « Erasmus des bâtisseurs » (cf. encadré ci-dessus). Une idée chère à Michel Guisembert : « Séjourner hors des frontières ouvre l’esprit, décloisonne ». Autre piste évoquée : l’organisation de conférences sur les métiers, l’orientation ou l’histoire des monuments, « menées par de brillants orateurs qui peuvent, au nom de la culture, intéresser le grand public ».
Pragmatisme, toute !
Si l’Élysée entend soigner au plus vite les stigmates de Notre-Dame, les professionnels seront toutefois attentifs à travailler au bon rythme et dans le respect de leurs impératifs techniques.
« Même si elle a évité le pire, Notre-Dame est déstabilisée et demande une grande attention. Nous avons le devoir de faire les choses intelligemment et de faire appel à des professionnels rodés », exhorte ainsi le président de la Capeb, Patrick Liébus.
Se pose ainsi la question de l’accès des entreprises artisanales aux marchés du patrimoine (revendication également portée par CMA France, cf. encadré ci-dessus). La Capeb craint que des procédures accélérées n’aident des géants du BTP à se placer plus facilement, au détriment d’artisans spécialisés mais moins armés administrativement.
« Les artisans d’art, diplômés de la filière professionnelle et symboles de l’excellence du savoir-faire français, ne peuvent, pour des raisons réglementaires, accéder à ces chantiers patrimoniaux alors qu’ils peuvent représenter jusqu’à 60 % de l’activité des professionnels métiers d’art », souligne Bernard Stalter. Fait rassurant : pour effectuer la dépose et sécurisation des vitraux, ce sont bel et bien quatorze entreprises artisanales qui ont été sollicitées. Une mission bouclée en trois semaines grâce à une excellente coordination.
Mais en ces temps de fébrilité où rien n’est acté, difficile de dire qui aura l’avantage (si tel est le cas). Bien que le consortium Chantiers de France n’ait pas de pouvoir décisionnaire sur la conduite des travaux, il est un rempart contre la précipitation et un porte-voix pour les artisans… Une chose est sûre : les métiers de la restauration ne laissent aucune place à l’illusion !
L’interview intégrale de Michel Guisembert.
À chantier d’exception, loi d’exception
Le programme Chantiers de France est encadré par la loi « Pour la conservation et la restauration de Notre-Dame » (en cours de discussion), qui dispose notamment que les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont destinés au financement de la reconstruction de la cathédrale et à la formation (initiale et continue) des professionnels qui interviendront.
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