De la bête à la belle
Les premiers recycleurs
"Le tannage consiste à transformer la peau d’un animal en cuir, matière durable et imputrescible, grâce à des tanins. On trouve aujourd’hui encore des semelles en cuir de tannage végétal de l’armée romaine dans les fouilles archéologiques. C’est un métier magique, un peu fou. Nous transformons une bête en belle", souligne Jérôme Verdier, président de la FFTM. Le terme mégissier vient du verbe désuet "mégir". La différenciation entre le métier de tanneur et celui de mégissier tient à la taille des peaux travaillées. "La mégie est le fait de tanner à l’alun de petites peaux d’agneau, mouton, chèvre, destinées à la ganterie. Le tanneur prépare de grandes peaux brutes de veaux, vaches…" La manipulation des peaux nécessite l’intervention de deux hommes chez un tanneur, d’un seul chez un mégissier. Le tannage existe depuis que les hommes élèvent les animaux pour leur viande sur quatre quartiers. "La peau est le cinquième quartier. Nous valorisons un coproduit, un déchet de l’élevage de l’alimentation humaine. Nous sommes les premiers recycleurs historiques."
"Notre métier est un mélange du geste et de l’appui de la machine. Avec 25 opérations manuelles, le processus reste très artisanal." Jérôme Verdier, FFTM
L’intelligence du geste
Au sein de Fémer peau marine, sur le bassin d’Arcachon, Marielle Philip développe une activité un peu moins connue : le tannage 100 % végétal de peau de poisson en économie circulaire : "Les peaux tannées sont des déchets de la filière agro‑
alimentaire. J’utilise des tannins naturels (mimosa, noix de galle) avec une forte capacité de renouvellement." Pratiquée à partir d’écorces d’arbres, de feuilles ou de racines, cette méthode ancienne est moins courante que le tannage minéral au chrome. En tannerie, le travail de rivière précède le retannage teinture, une étape artisanale qui comprend le veloutage, le lissage et le liégeage. Il faut compter 25 manipulations de la peau entre la rivière et le cuir fini livrable. Parmi les 2 000 personnes qui travaillent dans les 50 tanneries-mégisseries figurent de nombreux artisans dont le précieux savoir-faire s’acquiert sur le tas. "Six à huit mois de pratique sont nécessaires pour arriver au geste parfait qui relève d’une précision d’horloger. L’intelligence du geste est ce qui fait la noblesse du métier", précise Jérôme Verdier.
L’innovation par la diversification
Au-delà du geste, l’excellence dans la tannerie mégisserie passe par la sélection rigoureuse des matières brutes. Le cuir est un produit noble et prisé, très présent dans le luxe. La filière française exporte 40 % de cuir fini. "La qualité et le haut de gamme sont un passage obligé pour exister et répondre à l’exigence du cahier des charges des clients au niveau innocuité et traçabilité. Pour être pérenne, il faut se renouveler. Si le support reste classique, l’innovation se fait en termes de toucher et de couleur. Les matières sont revues et corrigées chaque saison", explique le président. Même si les entreprises de tannerie tendent à se raréfier, des projets d’investissement sont en cours sur des entités emblématiques. Pour vivre de son activité, Marielle Philip a décidé de se diversifier. Des partenariats lui ont ouvert de nouveaux canaux de distribution. "J’ai dessiné une collection avec un maroquinier du Limousin et développé une sandale avec une entreprise landaise. Le secret est de chercher des savoir-faire ailleurs et de collaborer avec des artisans de l’excellence."
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