Artisanat et innovation

Sur les chemins de l’excellence

Le 24/06/2019
par CM Alsace
L’artisanat, c’est l’art du faire, du savoir-faire parvenu à une maturité inégalée. Une maturité en interaction, ouverte au monde qui l’entoure, ouverte aux mutations technologiques. La particularité de l’artisan est de mettre les nouvelles technologies au service de son savoir-faire. Et pas l’inverse. C’est ce qui fait de lui un professionnel irremplaçable, à travers les âges.
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Artisanat et innovation, sur les chemins de l'excellence.

Aujourd’hui comme hier, la tradition doit composer avec l’évolution des techniques. « En tant qu’artisan, on s’inscrit dans une formation continue : nous devons être à la page au niveau des produits toujours plus performants à proposer à nos clients, des matières, des logiciels pour se perfectionner… », pose Alexandra Kammer, qui travaille avec son mari, Fabien, dans la fabrication de pièces de mécanique industrielle, à Hoerdt (67). « La réussite passe par le fait d’avoir un esprit d’analyse permanent sur ce qui se passe, les façons de travailler, les outils… », surenchérit Yann Le Cornec, menuisier-agenceur à Ostheim (68). Sauf que le numérique est une révolution aussi importante que l’imprimerie au XVe siècle : c’est un changement de modèle. Le numérique et ses nombreuses applications obligent à franchir un pas, parfois à partir de rien, pour rester en lien avec la clientèle. S’il est en éveil, l’artisan reste néanmoins juge et arbitre. Savant mélange d’héritage et d’innovation, il est avant tout une tête pensante qui garde la main.

Le numérique au service du savoir-faire

L’artisan ne peut passer à côté du numérique. Numé-K a investi dans un centre d’usinage numérique 3 axes et un tour à commande numérique, tous deux mis au service de la qualité exigée par les clients. « La commande numérique permet rapidité et précision ; nos tolérances sont quasiment à zéro, on nous demande des pièces extrêmement précises. Les clients répercutent sur nous leurs contraintes, liées notamment à l’arrivée de la robotique », explique Alexandra Kammer. Le moteur de l’artisan est la recherche permanente de l’excellence, et c’est pour ça qu’on vient le voir. Numé-K travaille avec ses clients sur des prototypes « jusqu’à ce que les plans et la machine du client soient parfaits. Nous sommes dans un secteur où les machines ne pourront jamais travailler toutes seules ; cela valorise notre travail, on aura toujours besoin de notre savoir-faire », ajoute Alexandra Kammer ; « mon mari maîtrise l’ensemble des processus et peut s’adapter à la demande. Personnalisation et sur-mesure comptent beaucoup aujourd’hui ».

« L'artisanat a changé, le numérique est présent partout, et ce n'est que le début ! »
Yann Le Cornec

Yann Le Cornec se sert pareillement du numérique comme d'un outil de travail personnalisé. « Nous utilisons notre centre d’usinage vertical à commande numérique de façon flexible, pour faire du sur-mesure. Nous allons acheter une autre machine, à laquelle nous pourrons rajouter des outils, ce qui élargira ses fonctionnalités. » En outre, l’artisan a décliné l’utilisation du numérique dans sa communication (site Internet qui permet au consommateur de se faire fabriquer un meuble sur-mesure, présence sur de nombreux réseaux sociaux…) et sa logistique (paiement en ligne). « En nous appropriant ces outils qui peuvent être utilisés par tout le monde, nous magnifions le savoir-faire artisanal », résume-t-il. Or, l’artisan qui souhaite investir ou se développer dispose d’un certain nombre d’aides, à portée de main.

Des financements pour soutenir l’innovation

« J’ai bénéficié d’une subvention régionale qui s’est répartie sur l’échelonnement du paiement de mon crédit », confie Loris Dufaut, prothésiste dentaire à Lutterbach (68). Il a investi 7 000 € dans une imprimante 3D et 100 000 € dans une usineuse numérique. Pour connaître les aides, la voie royale à emprunter par l’artisan est celle de la Chambre de Métiers d’Alsace. « Le dispositif Artisans de demain apporte une aide financière aux entreprises qui veulent se moderniser pour améliorer leur capacité de production et/ou se diversifier », commence à énumérer Nicolas Hauss, chargé de développement économique à la Chambre alsacienne. « Nous allons à la rencontre des chefs d’entreprise pour établir avec eux un diagnostic et nous les accompagnons dans le montage de leur dossier. » La plupart des entreprises que Nicolas a ainsi accompagnées depuis 3 ans (une cinquantaine) ont obtenu ce soutien (qui peut aller jusqu’à 50 000 €). La CMA pourra aussi faire découvrir à l’artisan qu’il peut intégrer une compétence supplémentaire (un chef de projets), à moindre frais, dans le cadre d’un projet de développement (dispositif Ardan*).

Depuis plus d’un an, la CMA propose une nouvelle offre de services : le Pass Artisan performance. Il s’agit de diagnostics de l’entreprise, et d’un accompagnement à la mise en place des préconisations, réalisés dans 5 fonctions clés de l’entreprise (numérique, développement commercial, gestion, organisation-ressources humaines, export). Avec le Pass Enjeux, c'est une première analyse des points forts/points faibles de l’entreprise puis des préconisations. Les Pass Thematiques sont des diagnostics plus spécialisés qui permettent d’aller plus loin dans l’analyse. Les Pass Actions donnent l’opportunité à l’artisan de se faire accompagner pour mettre en place des actions d’amélioration. Grâce à la CMA, avec le soutien de la Région Grand Est et des fonds européens (Feder), le coût de ces prestations est pris en charge pour l’artisan. La Chambre de Métiers d’Alsace a également établi des partenariats privilégiés avec la Siagi et la Socama (qui peuvent se porter garantes d’une partie du prêt de l’artisan), ou encore avec la plate-forme de financement participatif KissKissBankBank. Elle accompagne aussi les entreprises qui souhaitent obtenir le label EPV**.

Par ailleurs, la CMA complète son offre globale de services aux artisans avec un catalogue de formations complémentaires, à destination des dirigeants de l’artisanat et de leurs salariés. « Nous avons une direction de la formation très active, vers laquelle nous pouvons orienter le chef d’entreprise pour lui apporter la solution la plus globale qui soit », poursuit Nicolas Hauss. Un ou des regards extérieurs sont en effet fondamentaux pour prendre du recul sur son entreprise, et l’inscrire dans l’avenir.

Pour se développer, la force du réseau

« Mon réseau m’a permis de trouver les bons interlocuteurs », affirme Alexandra Kammer, qui a repensé le fonctionnement de Numé-K (voir encadré). Robin Ieraci, lui, fabrique des lampes et objets de décoration à partir de matières recyclées (voir encadré). Ceux-ci sont très innovants dans leur conception, et il avait besoin pour démarrer d’une machine à découpe laser. Il l’a financée via la plate-forme KissKissBankBank. Outre le montant visé atteint en 10 jours au lieu de 40 (6 500 € collectés), cela lui a permis de « développer un réseau de 87 contributeurs… donc clients. De plus, il n’y a pas une semaine où je ne suis pas contacté par quelqu’un en lien avec les projets de KissKissBankBank. Je bénéficie de beaucoup de retombées en termes de réseau ».

Grâce à son succès sur la plate-forme, le jeune homme de 23 ans a aussi pu rassurer son banquier et obtenir un prêt bancaire. LCM Design, l’entreprise du menuisier-agenceur Yann Le Cornec s’appuie, quant à elle, sur de nombreux partenariats avec fournisseurs et clients qui la référencent… Pour se développer dans l’univers de la cuisine, Yann a choisi un partenaire de choix, alsacien comme lui : Gaggenau.

Les atouts de la TPE pour écrire l’avenir

À taille humaine, la TPE est souple et réactive. « La réactivité est une vraie force à développer pour l’artisanat, observe Alexandra Kammer. Nous pouvons par exemple sous-traiter de la découpe de matière, ou avoir recours à d’autres artisans pour des demandes urgentes. » L’artisanat, qui se nourrit et se renouvelle par l’apprentissage, sait aussi capter et répondre aux aspirations des jeunes. « Mes salariés sont bien payés, j’entretiens l’esprit d’équipe, nous allons participer cet été à un événement sportif… », illustre Yann Le Cornec. « La pénibilité dans l’artisanat est aujourd’hui une notion moins marquée, grâce notamment aux nouvelles technologies », observe par ailleurs Claude-Sébastien Hedtmann, chargé de mission au CFA d’Eschau.

Bureau contemporain conçu et réalisé par des étudiants en BTS Design et des apprentis ébénistes du CFA d’Eschau.

Avec des jeunes motivés, pas de turnover ! L’avenir du secteur passe ainsi par l’apprentissage et la qualité de la formation dispensée. « Mes salariés sont formés en interne, en 4 ou 5 ans ; chez moi, on prend plaisir à concevoir et à réaliser. Mes salariés ne sont pas remplaçables. Leurs atouts : l’esprit de recherche de solutions, la connaissance des problématiques annexes à leurs tâches, la responsabilisation. C’est pourquoi ils s’investissent. S’ils partent, ils trouveront du travail partout ! », développe Yann Le Cornec. « Il faut qu’un apprenti soit formé par rapport à la société dans laquelle il vit », assène-t-il. La TPE artisanale incarne aujourd’hui cette ouverture. Fin juillet 2018, Muriel Pénicaud, ministre du travail, déclarait sur RTL que « […] demain, on ne peut pas garder les métiers du passé. […] Par contre, il faut que tout le monde puisse aller dans (…) l’ère de l’Internet, ou dans les métiers du futur. Il faut un investissement massif pour que chacun ait la capacité d’avoir des compétences. » Grâce aux structures qui les soutiennent, les TPE artisanales montrent que les métiers du passé savent s’inscrire dans l’avenir ; elles incarnent, à travers le niveau d’excellence qu’elles atteignent, la fusion réussie entre hier et demain.

*Action régionale pour le développement d’activités nouvelles, financé par la Région Grand Est.
**Entreprise du patrimoine vivant.

 

Une plate-forme valorisant le sur-mesure

Yann Le Cornec - LCM DesignPour Yann Le Cornec, menuisier-agenceur à Ostheim (68), l’innovation est à la croisée de trois chemins : l’utilisation de machines aujourd’hui adaptées par les industriels au travail artisanal, la connaissance des besoins grandissants des ingénieurs et clients finaux, et une présence variée sur le Web. Il y a deux ans, il a lancé le concept Millicub, un site Internet qui permet au consommateur de se faire fabriquer un meuble sur-mesure. « Le "sur-mesure" est une notion propre à l’artisanat, la concurrence ne fait que du modulable ; il faut se battre contre l’utilisation frauduleuse des mots propres à l’artisanat », dénonce-t-il. Sa plus-value est bien de travailler « au millimètre ». Pour valoriser cela, il a embauché un décorateur d’intérieur qui s’occupe spécialement de la communication de l’entreprise (réseaux sociaux, projets fournis aux clients en 3D, etc.).

 

Loris Dufaut - Laboratoire Dufaut

Au plus proche du client

Loris Dufaut - Laboratoire Dufaut« J’ai mûrement réfléchi et me suis dit que je n’avais pas d’autre choix que d’investir et de passer au numérique », se souvient Loris Dufaut, prothésiste dentaire à Lutterbach (68). Il s’est ainsi équipé dès 2017 d’une imprimante 3D et d’une usineuse. Le fonctionnement de l’entreprise en a été entièrement modifié. « Ce que nous faisions à la main à la cire, nous le faisons maintenant avec une souris… Nous avons changé de matières premières car l’usineuse fonctionne avec de nouveaux matériaux (comme le zircon, qui sert à faire l’armature des dents), et nous utilisons aussi de nouvelles céramiques adaptées. » Cependant, « même avec les nouvelles technologies, notre travail reste de l’artisanat pur ». L’entreprise a un contact privilégié avec sa clientèle et une flexibilité optimale ; « nous savons toujours quoi répondre à un chirurgien-dentiste car c’est nous qui avons effectué le travail ».

 

Robin Ieraci - Kido

Quand technologie rime avec écologie

Robin Ieraci - KidoDepuis fin 2018, Robin Ieraci fabrique à Ungersheim (68) des lampes et objets de décoration intérieure. « Le concept global de l’entreprise est d’utiliser uniquement des matières recyclées », explique-t-il. Ses lampes sont en carton, bois recyclé, sans colle et sans clou, et c’est au client de les assembler. Robin les conçoit sur ordinateur puis utilise une machine à découpe laser qu’il a acquise grâce au site de financement participatif KissKissBankBank, qui a appuyé son prêt bancaire. Dès cet été, ce Géo Trouvetou soucieux de l’avenir de la planète, envisage de s’orienter vers le recyclage du plastique. « Il faut broyer le plastique, le fondre et en faire des filaments ; je pourrai ensuite fabriquer de petits objets en utilisant l’impression 3D. » Il fabrique aussi les boîtes qui emballent ses créations, en récupérant des cartons des usines environnantes… « Je mise sur le message écolo et j’y crois ! »

 

Parole d'expert

« Le mot-clé de l’artisanat de demain, c’est l’adaptation »

Claude-Sébastien HedtmannClaude-Sébastien Hedtmann, chargé de mission au centre de formation d’Eschau (850 jeunes, 8 filières), nous explique comment l’innovation s’inscrit dans l’apprentissage des futurs artisans.

Le CFA familiarise-t-il les apprentis aux nouvelles techniques et technologies ?
Oui. L’impression 3D est une technologie qui s’immisce dans le quotidien de l’artisan, quelle que soit sa filière (ébénisterie, joaillerie, prothèses dentaires, chocolaterie…). Nous y formons nos apprentis.
De plus, notre CFA a été identifié par Bernard Stalter, président de la Chambre de Métiers d’Alsace, et Jean Rottner, président du Conseil régional, comme « CFA 4.0 ».
À ce titre, nous déployons des cours théoriques connectés avec Internet (vidéos transmises pendant le cours, enregistrement de ce qui a été produit au tableau, etc.).
Nous utilisons déjà des logiciels spécifiques, et l’investissement dans des casques virtuels et des simulateurs 3D pour l’hygiène et la sécurité en boucherie (nettoyage du labo, découpe de viande…) est une caution sur l’avenir. Innover, c’est introduire des nouveautés dans l’apprentissage et ce, au service des futurs artisans que sont les apprentis.

Quelles autres initiatives ouvrent encore l’esprit de vos apprentis ?
Nous avons mis en place un partenariat entre des jeunes en Brevet Technique des Métiers ébénisterie et des étudiants en BTS design.
Ensemble, du dessin à la fabrication, ils ont conçu et remis au goût du jour des meubles Louis XV et Louis XVI, récemment exposés à Strasbourg. L’évolution du métier amènera
les ébénistes à travailler avec des designers ; ces jeunes sont donc des précurseurs !
Le mot-clé de l’artisanat de demain, c’est l’adaptation. Nous allons aussi renforcer l’accompagnement de la poursuite des parcours.
De plus, nous organisons des visites chez des artisans et des fournisseurs.
www.cfa-eschau.fr

 

Alexandra et Fabien Kammer - Numé-K

Un virage (numérique) à 180°

© E. List-France excellence major 2013L’entreprise de mécanique industrielle Numé-K, située à Hoerdt (67), est en pleine restructuration via l’acquisition d’outils complémentaires optimisant son savoir-faire et sa gestion.
Après un centre d’usinage numérique 3 axes et un tour à commande numérique, « nous avons le projet d’investir dans un centre d’usinage numérique 5 axes pour les pièces les plus complexes », pose Alexandra Kammer, qui aide son mari, Fabien, dans l’ensemble du processus de modernisation de l’entreprise. En parallèle, les deux entrepreneurs vont se former à la CFAO*. « Actuellement, le travail se fait via l’écran de la machine ; avec la CFAO, nous pourrons programmer la réalisation de pièces encore plus précises », continue Alexandra. Le pilotage de l’entreprise passera, lui aussi, par le filtre du numérique : Alexandra met tranquillement en place l’utilisation d’un logiciel ERP** (gestion automatisée des stocks, etc.).
* Conception et fabrication assistée par ordinateur.
** Enterprise resource planning ou, en français, progiciel de gestion intégré.
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