La cession d'entreprises en souffrance
La cession-transmission d'entreprises est (toujours) à la peine. Présentée le 14 mai dernier, la dernière étude de BPCE l'Observatoire livre des chiffres sans équivoque : en trois ans seulement, le nombre de cessions d'entreprises a diminué d'un tiers.
L'étude repose sur les données relatives aux 3 millions d'ETI, PME et TPE françaises (sur les 4 millions d'entreprises existantes : les professions libérales et micro-entreprises n'étant pas comptabilisées).
ETI, PME et TPE dans le même bateau
Alors qu'en 2013, plus de 76 000 opérations étaient comptabilisées, en 2016, ce sont moins de 51.000 cessions qui ont été enregistrées, pour 750.000 emplois préservés. En 2016, 5.650 entreprises artisanales ont été cédées... Soit 66 % de moins qu'en 2013 ! La même année, environ 10.500 PME et seulement 667 ETI ont trouvé un repreneur, ce qui représente un recul respectif de 28 et 54 % par rapport à 2013.
En somme, résume l'étude, les TPE disparaissent deux fois plus que les PME et ETI et sont désormais quatre fois moins reprises...
Les disparités territoriales sont, elles aussi, très marquées : la région des Hauts-de-France est ainsi la plus lésée. Les taux de cession restent élevés en Ile-de-France, dans l'ex-Région Rhône-Alpes, sur le littoral méditerranéen et l'ex-Région Aquitaine. A l'inverse, les taux sont faibles en Normandie, Bretagne et Pays de la Loire.
Les résultats sont également hétérogènes selon le type d'activité et de secteur. Côté industrie, la chimie, l'agroalimentaire, l'informatique, le plastique ou le carton ont un taux de cession plus élevé que l'imprimerie, l'habillement ou le bois. Dans l'artisanat, les sous-secteurs du BTP ont des résultats inégaux (du fait de leur spécialisation), mais évoluent de façon plutôt positive, de même que les transports, les services aux entreprises et l'hôtellerie-café-restauration.
La transmission familiale en forme
Seule une modalité de cession-reprise tire son épingle du jeu : la transmission familiale. Le nombre d'opérations a progressé pour atteindre 2.451 en 2016. Le taux de survie à 3 ans de ces entreprises est également plus élevé.
L'alimentaire, le commerce de détail, la construction ou le transport sont particulièrement concernés par cette pratique. Celle-ci est plus courante dans les petites entreprises.
Un manque d'incitation...
L'étude attribue la décrue à plusieurs facteurs. "La baisse est la résultante d'une conjoncture et de choix réglementaires défavorables", estime le directeur Etudes et prospectives de BPCE, Alain Tourdjman. La BPCE cite ainsi la faible croissance entre 2012 et 2015, l'asymétrie entre créations et cessions-transmissions (les porteurs de projet privilégiant la création à la reprise) et la loi Hamon. Cette dernière, qui obligeait les dirigeants à informer les salariés de leur projet "à un moment critique du processus", a "mis à mal la confidentialité souvent nécessaire à la réussite d'une cession".
Un manque de visibilité que pointe du doigt Alain Tourdjman, qui exhorte les pouvoirs pubilcs à faire preuve de "volonté collective". Le spécialiste recommande de faire de la cession d'entreprises "une grande cause nationale" : "à ce jour, il ne semble pas exister d'action suffisante... or, il faut intervenir de façon massive, car il y a urgence !"
Le vieillisement des dirigeants, facteur aggravant
Une urgence d'autant plus marquée que le renouvellement démographique ne contrebalance pas le vieillisement des dirigeants, la génération des baby-boomers arrivant en retraite (si ce n'est pas déjà fait). L'absence de repreneurs est ainsi plus marquée dans les entreprises dont le dirigeant a plus de 60 ans... Sachant qu'en 2016, 1 dirigeant de PME sur 5 (20,5 %) avait plus de la soixantaine.
Plus le chef d'entreprise s'y prend tard, moins son projet de cession a de chances d'aboutir, du fait de l'impréparation administrative ou de la succession de prétendants frileux qui ne concrétisent pas leur projet de reprise. "Il est nécessaire et possible d'enrayer ce phénomène en sensibilisant les cédants au plus tôt et en accompagnant les repreneurs", analyse Alain Tourdjman.
De façon générale, les artisans sont en situation de vulnérabilité, car la reprise s'opère plus facilement dans les secteurs où le savoir-faire peut se transmettre dans l'atelier et non via une formation plus longue et spécifique...
Alain Tourdjman souligne aussi l'impact des facteurs psychologiques : "certains dirigeants de PME sur le départ cherchent non pas un repreneur, mais un fils spirituel... or, un mouton à cinq pattes est plus compliqué à trouver qu'un simple racheteur".
Le temps file, et les chefs d'entreprise repoussent leur projet, ce qui amoindrit les perspectives de reprise. "Les patrons sur le départ ralentissent leurs investissement dans l'entreprise et se reportent sur des formalités privées (retraite, immobilier, etc.). Cela crée les conditions d'une perte de valeur de l'entreprise, puisque celle-ci n'innove plus que très peu, n'investit pas dans du nouveau matériel et perd en compétitivié", développe le directeur Etudes et prospectives de BPCE. Moralité : les cédants ont tout intérêt à se pencher sur leur succession le plus tôt possible !
Mieux médiatiser et informer
Bien que l'étude de la BPCE mette surtout l'accent sur le risque de déliquescence de l'industrie, le constat vaut aussi pour les entreprises artisanales... Un péril qu'ont en ligne de mire les acteurs du secteur, qui se mobilisent chaque année dans le cadre d'événements dédiés à la transmission-reprise (Quinzaine de la transmission-reprise, etc.).
Quotidiennement, des interlocuteurs avertis tels que les conseillers des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) aiguillent les porteurs de projets dans leurs recherches.
Par ailleurs, les CMA apportent de la visibilité aux annonces de cession grâce à une Bourse nationale accessible en ligne.
>> Annuaire complet des Chambres de métiers et de l'artisanat
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