"La blessure narcissique peut se transmuter en détresse profonde"
Le Monde des Artisans : L'étude récente de l'Observatoire Amarok mentionne « le rapport existentiel que les entrepreneurs vouent à leur travail et à leur entreprise ». Quel mécanisme psychologique entre en jeu et pourquoi est-il particulièrement dangereux s’il n’est pas vite maîtrisé ?
Olivier Torres : Les chefs d'entreprise s'identifient à leur entreprise, surtout s'ils en sont les créateurs. L'entreprise porte parfois leur propre nom. Et lorsque le patronyme devient le patrimoine, cela peut créer des amalgames. Moi, je suis l'entreprise. L'entreprise, c'est moi. Dans un tel contexte, l'idée de déposer le bilan est vécue comme une liquidation pure et simple. La blessure narcissique peut se transmuter en sentiment de vide et de détresse profonde qui peut hélas pousser certains à commettre l'irréparable.
LMA : Existe-t-il des outils pour diagnostiquer son mal-être, son risque de burnout ?
O. T. : Il existe plusieurs échelles pour mesurer et diagnostiquer le burnout. Avec l'observatoire Amarok, nous avons une nette préférence pour l'échelle de Pines (BMS-10) car elle est courte et facile à comparer d'une période à une autre, d'une cohorte à une autre. Cette échelle a le mérite de se focaliser sur l'épuisement émotionnel, physique et cognitif. Or, un consensus se dégage pour considérer que le processus complexe du burnout commence généralement par ces formes d'épuisement. Cette échelle est donc un bon outil préventif. Pour en savoir plus, j'incite le lecteur à lire notre article publié avec Charlotte Kinowski-Moysan dans la Revue Française de Gestion.
LMA : Quelle démarche conseillez-vous aux artisans en difficulté ? Vers quels réseaux peuvent-ils s’orienter ?
O. T. : La première ressource de l'entrepreneur-artisan est son propre réseau de soutien (familial, amical, entrepreneurial). Le soutien social est le meilleur antidote contre les formes d'épuisement. Je dis souvent aux artisans "syndiquez-vous !" ou adhérez à des réseaux du type CJD ou APM. Avec Bpifrance, nous avons publié une étude avec une somme de conseils pour vaincre les solitudes du dirigeant.
Les réseaux consulaires sont aussi des ressources précieuses. La crise a montré clairement l'importance des corps intermédiaires pour informer les entrepreneurs au plus proches du terrain et des réalités. Avec la CMA de Vendée et des Pays de la Loire et des CCI, l'Observatoire Amarok a pu également lancer une vaste étude avec des centaines de réponses d'artisans. Sans la collaboration du réseau consulaire, nous n'aurions pas pu avoir un échantillon aussi massif. Cette étude dont les résultats sont en ligne sur le site de l'observatoire Amarok a suscité un grand intérêt de la presse, jusqu'à une tribune co-signée avec Nicolas Dufourcq dans La Tribune. Nous mettons en avant ce que j'appelle "le décret de la volonté", c'est-à-dire cet ensemble de traits psychologiques (résilience, optimisme, capacité d'adaptation, volonté de donner du sens à ses actions et à assumer ses responsabilités) qui ont une double vertu : ils protègent la santé et ils promeuvent l'esprit d'entreprendre. Sans cette volonté, il sera difficile de faire face...
Enfin, l'action d'APESA a trouvé un point d'orgue dans cette crise. Les artisans de ce dispositif, Marc Binnie et Jean-Luc Douillard oeuvent depuis des années. J'espère que ce dispositif va maintenant se généraliser dans tous les tribunaux de commerce, tant c'est à cet endroit que les détresses patronales sont les plus vives.
Il y a enfin le Portail du Rebond qui regroupe, outre Amarok et APESA, 60 000 Rebonds, Re-créer, Second Souffle et SOS Entrepreneurs qui offrent des actions bénévoles sur toute la chaîne du rebond. Préparer l'économie et l'artisanat de demain doit s'envisager dès aujourd'hui.
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