Bernard Stalter : l’Artisanat en sacerdoce
Un monument de l’Artisanat s’en est allé. Connu pour son investissement à toute épreuve, le président du réseau national des CMA, Bernard Stalter, est décédé lundi 13 avril des suites du coronavirus, au NHC de Strasbourg, après des jours passés en réanimation.
De l’artisan au proche collaborateur, en passant par le ministre ou le "simple" quidam, sa disparition a suscité une grande vague d’émotion. Cinquante ans d’Artisanat, une carrière bien remplie et une jovialité communicative auront en effet marqué les esprits…
L’Artisanat à la racine
Homme de conviction, Bernard Stalter entre dans l’Artisanat comme on entre en religion : humblement. À 14 ans, il est embauché comme apprenti coiffeur et passe haut la main l’étape des examens : brevet de compagnon coiffeur hommes en 1974, coiffeur dames en 1976... Fraîchement diplômé, il se met au service de l’armée et exerce sur la base aérienne d’Entzheim, loin des brushings vertigineux. De quoi forger le caractère, mais aussi ancrer le sens du devoir et de la rigueur.
En 1993, Bernard Stalter inaugure son premier salon de coiffure à Brumath (67), sa ville natale. Trois salons suivront, à Brumath, à Strasbourg et à Mundolsheim, où il s’entourera de dizaines de collaborateurs. Parallèlement, le coiffeur forme à tour de bras : plus de 70 apprentis au compteur, dont son fils Benjamin, champion d’Europe de coiffure en 2009, qui a brillamment repris le flambeau.
Attaché corps et âme à son métier et à la transmission des savoir-faire, Bernard Stalter continuera d’exercer la coiffure au gré des mandats, malgré un agenda chargé… Une endurance qui transparaîtra également au travers de ses innombrables engagements.
"Bernard Stalter a su appliquer l’essence même de ce beau métier à savoir l’empathie, la proximité, la rigueur, à ses missions et combats politiques, s’attirant ainsi l’écoute de membres-clés du Gouvernement", résume parfaitement l’Union nationale des entreprises de coiffure (Unec) dans son hommage.
L’engagement national… par capillarité
En 1998, l’artisan alsacien est élu président de la Fédération de coiffure du Bas-Rhin. Ses qualités de défenseur de la profession lui vaudront d’accéder à la présidence de l’Unec en 2014. Dans la foulée, Bernard Stalter s’attaque à un dossier épineux, qui lui vaudra une médiatisation remarquée... En 2015 et en 2016, les projets de lois NOE (nouvelles opportunités économiques) puis Sapin II entendent supprimer l’obligation de qualification professionnelle pour exercer une activité de coiffure. Une menace sérieuse, qui a de quoi faire bondir… Aux côtés d’autres organisations professionnelles concernées, telles que l’U2P, le président de l’Unec montera au créneau avec succès, obtenant le maintien du brevet professionnel (BP) comme prérequis pour exercer. Un épisode charnière, puisque cet affront réparé ouvrira symboliquement la voie de la revalorisation de l’apprentissage et des métiers manuels auprès des pouvoirs publics.
L’Alsace chevillée au corps, Bernard Stalter s’investit aussi à l’échelle locale : réélu trois fois à la tête de la chambre de métiers d’Alsace (qui a fêté ses 120 ans en février), il préside dès 2016 la CMA du Grand-Est et l’Union des corporations artisanales du Bas-Rhin.
Progressivement, l'artisan devient "le" porte-voix de la première entreprise de France. Il tend l'oreille aux artisans dans leurs ateliers, sur les Salons, liste leurs difficultés. Omniprésent sur le terrain, attentif aux revendications des branches professionnelles, son investissement pour la cause artisanale transcende les territoires et les secteurs. Fin 2016, cet élan fédérateur et son programme de développement lui valent d’être élu à la tête du réseau national des CMA.
Bernard Stalter enchaîne les responsabilités nationales (à la Siagi, la Cnams- U2P), qui l’astreignent à un rythme effréné… Ses fonctions au sein de l’UEAPME lui permettront de faire entendre la voix de la France à l’échelle européenne sur des thèmes brûlants tels que l’homologation des diplômes, la TVA ou le travail détaché et transfrontalier. Cette vue à 360 degrés de l’Artisanat permettra à Bernard Stalter d’en acquérir une connaissance millimétrée.
Maintenir la "planche de salut"
Ordonnances travail, Avenir Pro, Pacte… Les textes de loi diluviens se succèdent. Déterminé, Bernard Stalter ne baissera jamais la garde, argumentant sans relâche auprès des ministères lors de concertations parfois musclées. Guidé par sa foi en l’Artisanat, qu’il définissait comme la "planche de salut" de l’économie française, le président de CMA France fait valoir les intérêts des artisans sur tous les fronts.
À Bercy, Bernard Stalter participera aux concertations autour de la très attendue loi Pacte, qui aura nécessité des mois d’allers-retours et l’adoption de 1 400 amendements. Seule une bataille aura échappé au réseau des CMA : celle du SPI, rendu facultatif. Qu’à cela ne tienne : plus que jamais mobilisés, les consulaires ont adapté leur offre de services pour donner toutes leurs chances aux créateurs d’entreprise (Pack Artisan).
Dans les périodes de crise, Bernard Stalter redouble d’efforts pour se faire entendre en conviant élus et ministres sur le terrain. En plein mouvement des "gilets jaunes", l'artisan fédère à ses côtés Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire et la députée Olivia Grégoire, avec lesquels il partage le désarroi des petits commerçants lors de multiples visites. Avec ses collaborateurs des CMA, il obtiendra des aides d’urgence et lancera le Grand débat des artisans. Les doléances des artisans donneront lieu à quatorze propositions, transmises aux services de Bercy. S'ensuivra en 2019 un plan national dédié à l’Artisanat et au commerce de proximité.
Cette mobilisation "empirique" aura porté ses fruits et donné plus d'écho à la voix des artisans ces derniers temps encore, lors des grèves contre la réforme des retraites et aux prémices de la crise sanitaire...
La jeunesse au cœur
Les mandats nationaux de Bernard Stalter auront été notablement marqués par sa promotion de l'apprentissage, filière injustement "mal-aimée". Les sept axes du Livre blanc de l'apprentissage en main, il porte auprès du ministère du Travail les mesures plébiscitées par les branches professionnelles et par le réseau des CMA et des CFA : assouplissement des règles d'entrée, meilleur financement, numérisation des parcours...
Ses efforts ne seront pas vains : la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (Avenir Pro) s'inspirera en grande partie des revendications du réseau des CMA. Seul et terrible point de friction : le financement des contrats d'apprentissage... Une histoire qui "finira bien".
Muriel Pénicaud, avec laquelle il noue des liens étroits, lui sera reconnaissante d'avoir contribué à redorer le blason de l'apprentissage et saluera régulièrement "un ami", "un architecte de la réforme". Le 12 février, lors de la remise des médailles MAF à la Sorbonne, la ministre honorait encore sa contribution et celle du réseau des CMA. Dernière sortie officielle en date : en novembre dernier, le binôme célébrait les chiffres spectaculaires des entrées en apprentissage en visitant le CFA des métiers de Bayonne.
L'Artisanat en héritage
Taxe robot, intégration des migrants, microentreprise, ubérisation, digitalisation des artisans : ces derniers mois, Bernard Stalter multipliait les tribunes engagées et occupait une place croissante dans les médias.
"Patron de l’Artisanat", "premier artisan de France", "incarnation de l'Artisanat"… Des colonnes de journaux aux couloirs des ministères, les qualificatifs élogieux ne manquent pas et illustrent le sentiment de beaucoup d’artisans : celui d’être orphelin. Bernard Stalter lègue toutefois à la postérité un héritage tel que la relève semble assurée. Collaborateurs, apprentis et acteurs de l’artisanat auront à cœur de pérenniser ses combats et ses mémorables tirades.
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